Conseils de lecture
Un chemin de hargne... pour trouver l'apaisement
🥾 Alice est énervée. Alice est très énervée. Alice est très énervée contre Fabrice. Alice est très énervée contre Fabrice et Laure. Alice est très énervée contre Fabrice et Laure qui lui a piqué son Fabrice.
🥾 Alors Alice marche. Rageusement. Trépigne, presque. Compostelle, pour elle, ce n'est ni un pèlerinage religieux, ni un défi sportif. C'est un chemin de hargne. Parce que son mal-être, qu'elle se traîne depuis le Québec, il faut qu'il sorte, il faut l'expurger comme une vilaine sueur, une toxine acide. Au début, ni le plaisir de marcher ni l'envie de rencontrer des gens ni même la météo ne sont au rendez-vous. "Je fixe l'horizon, espérant voir apparaître un restaurant, une taverne, un château ou un immense feu de joie, juste ici, au milieu d'un champ de Saint-Trou-Profond-d'Aubrac. J'en ai marre. J'ai les bleus."
🥾 Ce qu'elle ne savait pas, Alice, c'est que Compostelle finirait par faire son œuvre. Œuvre de digestion, d'apaisement, de réconciliation, si ce n'est avec Fabrice et Laure, du moins avec elle-même et quelques autres humains croisés en route. Et c'est ça, la grande force de ce court roman : c'est sa manière très étonnante de quitter peu à peu la fureur, pour retrouver un brin d'air – et le plaisir d'échanger avec autrui. "Les yeux fermés, mes bouchons orange dans les oreilles, je pense aux jours à venir, le cœur léger. J'ai un ami." Un texte cathartique qu'on lit entre compassion et sourire, avec le grand bonheur que l'éditeur ait respecté les nombreux québécismes qui jalonnent la lecture.
Nellie & Philéas, détectives globe-trotters
Le crime de Whitechapel
1
De Roseline Pendule
Gulf Stream
🐥 Pour les bon·ne·s lecteurs·trices de 10-12 ans, en quête d'enquêtes !
🐥 Quand tes (arrière-)(grands-)parents étaient petits, ils se rêvaient globe-trotteurs en lisant Jules Verne. Toi, c'est Nellie & Philéas, qui éveilleront ta vocation ! Nellie, 12 ans, veut prouver au directeur d'un journal new-yorkais qu'elle a bien la carrure d'une grande reporter. C'est ainsi qu'elle quitte clandestinement les États-Unis sur un paquebot, pour se rendre à Londres. Sur place, Jack l'Éventreur sévit... Mais au lieu d'effrayer Nellie, ça lui donne des idées de scoops ! Surtout qu'elle trouve un coéquipier, Philéas, à peine plus âgé qu'elle, et plein de ressources pour l'aider. Ni violence ni scène choquante dans cette enquête trépidante, racontée avec un vocabulaire riche qui te plongera dans le Londres du XIXe siècle.
🐥 Si cette histoire t'a plu, tu retrouveras ce duo d'enfer dans un tome 2 à Paris et un tome 3 à Bombay. Et à tes (arrière-)(grands-)parents qui demanderont, l'air de rien, qui était Philéas Fogg, non seulement tu sauras quoi répondre, mais en plus tu pourras leur en boucher un coin en leur racontant, l'air de rien qui était Nellie Bly, celle qui a inspiré l'héroïne de ces romans. Et toc !
Quand des Occidentales épousent des Zanzibarites
🏝 Zanzibar ! Île mythique, dont le seul nom sonne comme un appel à l'ailleurs ! Carrefour des civilisations arabes et africaines, voilà une destination touristique où, depuis les années 2010, le tourisme occidental féminin introduit de nets changements sociaux. En effet, nombreuses sont les trentenaires et quarantenaires qui, portées par la joie et la détente de vacances exotiques, se laissent tenter par des aventures avec les "beach boys", comme se surnomment eux-mêmes ces hommes, souvent jeunes, qui font de la séduction leur fonds de commerce. Mais là où Altaïr Despres s'attendait, en tant qu'anthropologue, à étudier ce tourisme sexuel féminin souvent sans lendemain, elle découvre avec intérêt qu'il n'est pas rare que ces relations de couple s'inscrivent dans le temps. Ce sont ces couples mixtes, généralement mariés après un flirt de vacances, qu'elle va étudier pendant plusieurs années.
🏝 Loin d'une thèse universitaire au style aride, son ouvrage témoigne de ces observations sous une forme romancée extrêmement agréable à lire. On suit les protagonistes comme autant de personnages romanesques : Ethel et Omar, Inès et Dolce, Mathilde et Khamisi, préoccupés par leurs sentiments (attirance, amour, doutes, trahison...), leurs projets (déménager, investir, construire...) et d'inextricables questions d'interculturalité (quelle langue parler ? quelle religion adopter ? quelles références communes mobiliser ?) Certains dialogues sont clairement retranscrits tels qu'ils ont été entendus par la chercheuse, qui en restitue avec talent toute la vivacité et toute la truculence.
🏝 Portrait d'Occidentales audacieuses et de Zanzibarites entreprenants (dans tous les sens du terme), "Zanzibar" illustre magnifiquement l'immense complexité des rapports Nord/Sud... quand l'amour s'en mêle !
De quoi se faire chauffer du thé sur le nombril !! 😂
Ce matin, en me réveillant, j'avais une faim à manger un cheval entre deux matelas, comme dirait ma tante californienne. Mais je n'ai pas voulu aller à la boulangerie, car il faisait un froid à geler les pets, comme dirait mon ami écossais. Mais sans pain, pas de tartines : autant faire un nœud à une goutte d'eau, comme dirait ma voisine brésilienne. Quant à faire mon pain moi-même ?... Quand les cochons voleront ! comme dirait mon cousin anglais.
Ma garagiste japonaise vous demanderait si ces #expressions vous ont fait chauffer du thé sur le nombril. Comment ? Vous ne savez pas ce que signifie celle-ci ? Vous vendez votre âne, comme dirait mon herboriste marocain ? Surtout, n'allez pas croire que j'ai des rats au grenier, comme dirait ma kiné danoise. Et pour ne pas commencer la maison par la cheminée, comme dirait mon grand-père espagnol, lisez donc le super album de Philippe Nessmann et Laura Lion. Avec des dessins évocateurs, pleins d'humour et fourmillant de détails, vous allez comprendre toutes ces expressions idiomatiques venues d'ailleurs... avec une jambe dans le dos, comme dirait ma belle-sœur portugaise !
Errance stambouliote
✨Ces derniers jours, je me suis réveillée avec Boratine. Ou plus exactement, en lui. Avec lui, me regardant dans le miroir, je me suis découvert jeune homme, belle gueule, le regard un peu vacillant. Chez lui, dans ce grand appartement empli de bibelots d'un autre temps, je me suis allongé(e), bercé(e) par la musique incessante des rues stambouliotes, à peine filtrée par les persiennes. Ensemble, Boratine et moi, nous avons exploré le vide et les confins de l'être, arpenté les rues de #Galatasaray à la nuit tombée et fixé, des heures durant, les fissures dans le mur blanc. Etaient-elles là hier ? Sont-elles plus tortueuses, plus saillantes, plus abyssales que les failles de notre esprit ?
✨Mon double des derniers jours, Boratine, est un héros #amnésique qui soliloque, oscillant de la 1ère à la 3ème personne du singulier, navigant du "je" au "il". Il faut l'excuser : le beau jeune homme se réveille tout juste d'une plongée suicidaire dans les eaux du #Bosphore, miraculeusement vivant mais amnésique. Qui est-il ? Pourquoi vouloir mourir quand on est jeune, brillant guitariste adoré des oiseaux de nuit, loué pour sa générosité et surtout entouré ?
«Vous m’avez demandé mon nom, et moi j’essayais de me souvenir pourquoi je désirais mourir. Pourquoi vouloir mourir ?»
✨Le postulat narratif de ce Labyrinthe est somme toute bien classique. Mais ne vous y trompez pas : cette errance intérieure est moins le récit d'une existence brisée qu'une réflexion sur l'#identité et l'être au monde.
Qu’est-ce qu’un homme sans aucun passé ? Au début du récit, il est assez réjouissant de lire cet homme qui s'observe exister, et qui entame sous nos yeux un dialogue de sourd avec son reflet dans le miroir. Sans boussole pour s'orienter dans le temps, notre Boratine se trouve bloqué dans le labyrinthe de son existence. Au lieu de paniquer, il flâne - et alors #Istanbul, la ville aux mille lumières devient la métaphore de ce dédale. Nous voilà embarqués au hasard de ses avenues, attablés à la terrasse du coin de la rue, accoudés à la rampe de ce pont qui majestueusement enjambe deux continents.
✨Comme Boratine que tous enjoignent à la #patience, la plongée en ce Labyrinthe mérite qu'on lui donne du temps. La prose de Sönmez nous guide au cœur d'une transe limpide, étonnamment tranquille, avec une simplicité qui touche au tréfonds de notre humanité. Tout l'art de l'écrivain est d'amener son lecteur à partager, à habiter cette #solitude essentielle, ontologique.
✨ En refermant ces variations philosophiques aux allures de bal(l)ade, on s'interroge. La mémoire serait-elle autre chose que l’illusion de la continuité de nos vies, une des variantes possibles de notre identité ? Je n'ai pas la réponse, mais un conseil ! Perdez-vous de plein gré dans ce Labyrinthe : laissez le vide de Boratine, gros d'incertitudes, envahir les méandres de vos pensées confinées...