La Dernière Ronde

Eddine Ilf

Elyzad

  • Conseillé par
    14 avril 2011

    Une ronde est une partie d'échecs dans un tournoi ; celui-ci en comportant 11 par joueur. Etant donné le thème de ce livre, on ne peut s'empêcher de penser au début au moins, à Stefan Zweig et son livre Le joueur d'échecs, référence prestigieuse, mais point comparaison. Voilà un jeune auteur qui fait preuve d'une belle maîtrise de son sujet : le suspense monte en douceur, mais sûrement, jusqu'à son acmé : la onzième ronde, la dernière ! Son personnage vieillit et entre deux parties, et même pendant ses parties se replonge dans sa vie. Il revoit son premier mariage, son divorce, ses enfants restés en Russie : "je pensais souvent à eux, je me demandais comment ils s'épanouissaient physiquement et intellectuellement... Je réussissais à avoir de leurs nouvelles par des amis restés au pays et j'essayais de leur en donner des miennes... Mais je ne peux pas dire qu'ils me manquaient. [...] Pourtant j'aimais -j'aime toujours mes enfants" (p.137) Cet homme n'a vécu que pour et par sa passion, les échecs. Tout ce qu'il a fait à côté était pour avoir une position sociale ; il n'a rien regretté, n'a fait de mal à personne mais au fond de lui, rien n'a atteint la puissance de ce jeu.

    Remarquablement écrit, ce roman tient en haleine jusqu'au bout et même pour un ignare dans ce jeu -je ne connais que très vaguement le déplacement des pièces- il est passionnant. Même les détails des parties jouées, avec les cases nommées, les phases de jeu décortiquées ne m'ont pas rebuté. Je les ai lus vite non pas parce qu'ils ne sont pas intéressants, mais parce qu'ils font monter le suspense, même si je suis bien incapable de visualiser la partie avec ces indications de l'auteur (un amateur d'échecs y trouvera sans doute son compte voire y prendra son pied !)

    Un premier roman qui dresse le portrait d'un homme vieillissant, solitaire, qui a tout donné à sa passion et qui veut encore lui donner beaucoup, jusqu'à la fin, un homme qui se sent décliner irrémédiablement, un vieil homme très attachant et bien décrit : je peux là saisir les raisons qui font que cet homme passe à côté des autres sans s'y intéresser : lui-même n'y peut rien, sa passion est la plus forte. Belles phrases, souvent longues, sens de la construction de la phrase, Ilf-Eddine montre un style personnel travaillé et abouti.

    Pour vous donner encore plus envie, voici le premier paragraphe de ce roman, que personnellement, je trouve très beau et qui annonce joliment la suite :

    "Sur l'ensemble de ma vie, j'ai dormi à l'hôtel aussi souvent que chez moi. J'ai connu des établissements modestes, mal chauffés et vétustes, et d'autres, luxueux, qu'ils soient cathédrales soviétiques ou emblèmes impersonnels de la mondialisation. A chaque fois, j'ai aimé l'apaisement procuré par cette clé que l'on vous tend, cette porte qui s'ouvre, cette chambre qui s'offre à vous" (p.11)