Le Grand Barrage
EAN13
9782889070121
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
Ecrits d'ailleurs
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Le Grand Barrage

Zoé

Ecrits d'ailleurs

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Le coup de cœur de Yannick : J’ai immédiatement flashé sur la trame de ce
roman découvert au détour d’un catalogue anglais : des Britanniques se lancent
dans la construction d’un barrage en pleine jungle, au cœur de l’Inde qu’ils
viennent de quitter après des années de colonisation. Un projet aux allures
épiques qui m’évoque des lectures chéries, Naissance d’un pont de Kerangal ou
Au cœur des ténèbres de Conrad ; et un émerveillement devant la connaissance
de Markandaya, qui décrit avec la même aisance le fonctionnement et
l’organisation d’un chantier (grues mobiles, batardeaux et tamis rotatifs),
les techniques de capture des oiseaux exotiques (souimangas, bulbuls ou
mainates religieux) et les complexes rapports qui sous-tendent la fourmilière
sociale du chantier : chefs britanniques condescendants, ouvriers indigènes
insondables, ingénieurs de Dehli hargneux, épouses des cadres qui s’ennuient
dans cette ville en pleine jungle … Le Grand Barrage : un roman écologique
visionnaire Pour Kamala Markandaya, le moteur de l’écriture était la colère ;
et Le Grand Barrage en est plein : colère contre le racisme, contre
l’injustice envers les colonisés, contre l’orgueil démesuré des Britanniques
venus bâtir un barrage en pleine forêt, au détriment de la nature et des
tribus installées au bord de la rivière depuis des générations. Clinton dirige
la société britannique en charge des opérations, adoubée par le gouvernement
de Dehli, à des milliers de kilomètres. La vie de cet ingénieur à la volonté
de fer est une constante lutte de pouvoir – politique quand il se bat pour
remporter l’appel d'offre ; technique, lorsqu’il exige que le chantier soit
soumis à son bon vouloir, malgré les recommandations des ingénieurs indiens
qui pointent les difficultés de climat et de terrain. Dans la « ville d’hommes
» éphémère bâtie sur le site du futur barrage, où se côtoient les ouvriers
anglais et les indigènes engagés pour le chantier, certaines femmes sont aussi
présentes, celles des hauts cadres, et bien sûr Helen, l’épouse de Clinton, à
la curiosité insatiable. Elle délaisse l’entre-soi des autres épouses pour
s’intéresser aux conditions de vie de la tribu locale, contrainte d’abandonner
son village au début des travaux. La construction commence, puis se poursuit à
une vitesse toujours plus folle afin d'éviter les moussons qui s’approchent.
Les frictions s’accentuent entre membres des différentes communautés
présentes, les Britanniques racistes, condescendants et incapables de
s’adapter, les ingénieurs indiens modernes, mais encore meurtris par
l’occupation occidentale récente, ou les membres des tribus locales attachées
aux traditions, qui observent en silence le chantier depuis la jungle proche.
Helen quant à elle se rapproche de Bashiam, pourtant rejeté par tous : les
membres de sa tribu auxquels il a tourné le dos pour devenir un homme du monde
moderne ; les ouvriers indiens et les Britanniques, qui le surnomment Jungly
Wallah. Bientôt, le chantier se heurte aux imprévus humains, aux accidents
techniques et à la puissance implacable de la nature, et le contrôle échappe
toujours plus à Clinton. Jusqu’à ce que la mousson arrive... Au fil du Grand
Barrage, Kamala Markandaya développe l'intériorité des personnages et le jeu
des points de vue, pour aller au-delà du simple jugement de valeur. Elle
décrit avec la même aisance le fonctionnement et l’organisation d’un chantier
(grues mobiles, batardeaux et tamis rotatifs), les techniques de capture des
oiseaux exotiques (souimangas, bulbuls ou mainates religieux) et les complexes
rapports qui sous-tendent la fourmilière sociale du chantier. Elle évoque
aussi, avec cinquante ans d’avance, les conséquences destructrices du progrès
sur l’environnement. L’indépendance de l’Inde « Les nouveaux colons regardait
cette énigme tentaculaire que leur paraissait être l’Inde. Certains, comme
Clinton, avec une absence totale d’intérêt ; d’autres, comme Helen, avec une
immense et insatiable curiosité, et une aptitude naturelle à l’identification
; d’autres avec gêne, peu disposés à s’aventurer dans un territoire dont les
codes et les valeurs étranges leur faisaient perdre confiance, comme des
pigeons qui iraient se percher sur du gel répulsif ; mais la plupart
contemplaient l’Inde en sentant monter en eux des élans de supériorité rendus
pénétrants, exaltants et grisants par la peur, une peur indicible et inavouée
de mettre un pied au dehors, car c’était risquer, comble de malheur, de voir
son identité totalement et effroyablement engloutie dans un océan d’inconnu. »
Le Grand Barrage Sous influence britannique dès le XVIIIe siècle, l’Inde
connaît des temps difficiles dans la première moitié du XXe siècle : pauvreté,
famines, grèves, émeutes violemment réprimées. Durant la Seconde Guerre
mondiale, des tentatives de putschs armés pour obtenir l’indépendance
échouent, et c’est finalement Mahatma Gandhi, héros et modèle du pacifisme,
qui parvient à obtenir la fin du « Raj britannique » en 1947. L’indépendance
débouche sur la division de l’empire britannique des Indes en deux États
indépendants, l’Union indienne à dominante sikh et hindoue d’une part, le
Pakistan majoritairement musulman d’autre part. Cependant, le découpage de
certaines parties du territoire, à la suite du retrait des Britanniques,
s’effectue au détriment des populations. Il entraînera des déplacements
massifs, des violences entre communautés et plusieurs guerres entre l’Inde et
le Pakistan. En 1956, sous le ministère de Jawaharlal Nehru, le States
Reorganisation Act structure les États indiens selon les frontières
linguistiques. Parmi les nouveaux États nés de cette réorganisation, celui de
Mysore (futur État du Karnataka), où se déroule l’intrigue du Grand Barrage.
Kamala Purnaiya naît en 1924 dans une famille de l'élite brahmaniste, à
Madras. Elle y étudie l'histoire à l'université, puis travaille pour un
magazine progressiste, tout en publiant des nouvelles dans des journaux
indiens. À plusieurs reprises, elle séjourne dans un village rural pour
améliorer l’éducation, l’hygiène, aider au suivi des récoltes, une expérience
qui la marquera au seuil de sa carrière littéraire. C’est décidée à devenir
écrivain qu’elle quitte l’Inde tout juste indépendante et s’installe à Londres
en 1948. Elle y épouse un Anglais, journaliste comme elle, et devient Kamala
Taylor. Mais c’est sous le pseudonyme de Kamala Markandaya que paraît premier
roman en 1954, Nectar in a Sieve (Le Riz et la mousson) : ce récit de vie
d’une paysanne indienne, parmi les premiers consacrés à la ruralité indienne
du point de vue d’une femme, est couvert de prix et devient un succès
international. Notamment en France, où il est traduit (ainsi que plusieurs de
ses titres, tous épuisés depuis) chez Robert Laffont. En presque trente ans
d’écriture, Kamala Markandaya publie dix romans, dont Le Grand Barrage en
1969. Une œuvre qui questionne l’identité de l’Inde, ses rapports aux
traditions et à la modernité, son indépendance récente, ou l’influence
anglaise que le pays continue de subir à différents degrés. Une vie
principalement passée en Grande-Bretagne, et pourtant, Kamala Markandaya s’est
longtemps considérée comme une expatriée, retournant fréquemment en Inde et
parlant couramment le tamil, le marathi ou le kannada – la langue officielle
du Karnataka où se déroule l’intrigue du Grand Barrage. Elle est décédée à
Londres, en 2004. Elle est depuis peu rééditée en Grande-Bretagne, et
désormais reconnue comme une figure de la littérature postcoloniale, abordant
des thématiques on ne peut plus actuelles : l’expérience du racisme, les
questions d’identité et d’indépendance, les conséquences parfois destructrices
du progrès et de la modernisation sur l’environnement.
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