Prague, faubourgs est

Timothée Demeillers

Asphalte

  • Conseillé par
    23 novembre 2014

    Élégie pour une ville défunte.

    Un livre parlant de Prague écrit par un français, la chose doit être assez rare, je pense, pour être soulignée.
    Mais attention ce n'est pas le Prague de carte postale, très loin de là. Nous ne sommes pas dans cette ville où l'on tourne des films, mais dans une cité qui a perdu son histoire et son âme !

    Un petit rappel historique et personnel, à la fin des années soixante, un mouvement populaire de grande envergure secoue la Tchécoslovaquie "Le Printemps de Prague". Hélas les chars russes mettront fin au rêve de toute une population. J'avais en 1969 passé une semaine dans une petite ville tchécoslovaque à la frontière de la Pologne.
    Marek revient à Prague après sept ans d'absence. Pendant ce court laps de temps sa ville est passée du post-communisme à un capitalisme touriste mal digéré !
    Il a l'impression de se retrouver dans une ville qui lui est étrangère, qui n'est plus la sienne. Triste constat, son retour n'a rien de triomphant, c'est même un fiasco complet. Katarina, motif de sa fuite quelques années plus tôt, lui réserve un accueil glacial dans le bar qu'elle gère dorénavant. Leur ancien quartier général auparavant tenu par Jakub, ancien quasi-frère qui est la cause de sa rupture avec Katarina. Leur amitié ne résistera pas à cette trahison.
    Plusieurs récits en parallèle dans cette ville dont l'âme s'est enfuie effrayée par la manne financière déversée qui a détruit certaines valeurs humaines et amenant avec elle la drogue et son alliée naturelle, la prostitution. Venez visiter Praha by Night...une ville glauque, des quartiers dévastés, des hommes et femmes venus parfois d'Afrique ou d'ailleurs. Ne cherchez pas ces endroits dans les prospectus distribués par les offices du tourisme.
    La vie c'est comme un accident de voiture sur la route de l'aéroport de Prague !
    Une parodie de Jacques Brel :
    Nous étions deux amis et Katarina m'aimait
    Prague était déserte et pleurait sous juillet.
    Des autochtones ou ex-autochtones, Marek, un peu le cul entre deux continents, l'ancien et le nouveau, malheureux dans l'un comme dans l'autre. Souvent lucide, mais prêt à beaucoup de sacrifice pour reconquérir Katarina.
    Pour Jakub ce fut grandeur et décadence du play-boy à qui tout réussissait. Il ne reste qu'une épave alcoolique et droguée n'ayant plus un kopek (je sais, elle est facile).
    Des touristes américains bien sûr venus boire et baiser pas cher. Cet afflux de touristes des quatre coins du monde est la cause involontaire du passage de la capitale de l'ancienne Tchécoslovaquie en un parc naturel à ciel ouvert pratiquement transformé en réserve d’autochtones !
    Nous en suivons particulièrement un, Scott venu avec des amis passer quelques jours de bon temps dans un endroit qui pour lui n'est qu'un vaste lupanar.
    Un excellent roman prenant Prague pour cadre, mais qui pourrait très bien se passer ailleurs. Le style d'écriture est lui aussi relativement original, chaque protagoniste prend la parole durant un chapitre, puis un autre suit.
    Le monde tel qu'il va, plutôt mal, vers une uniformisation qui hélas semble inéluctable !


  • Conseillé par
    5 octobre 2014

    Lecture commune pour ce livre, mon ami Éric, par ailleurs co-blogueur sur les huit plumes et moi-même avons donc lu ce roman paru chez Asphalte.
    Roman à trois voix. Chaque narrateur intervient trois fois, soit neuf chapitres. D’abord Marek, nostalgique absolument plus en phase avec son pays, mais plein des souvenirs et très envieux de retrouver ces moments perdus ; une belle langue, pleine de phrases longues, qui raconte la vie de rapines et de deals que menèrent Jakub et Marek. C’est un véritable plan à arnaques dans lesquelles ne pas tomber lorsqu’on est touriste ! A emporter lorsqu’on voyage ! Marek parle du Prague des années 90 au sortir du joug russe, l’ouverture au monde occidental, le rêve de l’abondance, de la consommation qui tourne vite au cauchemar de l’inflation, du capitalisme et des salaires qui ne suivent pas et donc de la frustration, puis des économies parallèles pour s’en sortir : prostitution, drogue, alcool, …

    Ensuite, Scott, un touriste états-unien qui fait une virée entre potes pour se payer des filles de l’est soi-disant faciles, qui ne devraient faire aucune difficulté pour tomber sous les charmes des Américains, surtout ceux des billets verts. Scott décrit la Prague actuelle, celles des bouges, des rades miteux, des lupanars, décevante forcément, sauf peut-être pour ceux venant chercher du sexe.
    Enfin, Jakub, l’ami délaissé, désabusé qui use d’une langue totalement pessimiste voire mortifère, violente et crue, revendicatrice, bourré de points d’exclamation. Jakub le trahi qui se défonce encore plus qu’avant, qui ne voit même plus sa ville, qui ne la reconnaît plus, mais qui reconnaîtrait-il, lui devenu un quasi clochard alcoolique et toxico au dernier degré ?
    Le livre de Timothée Demeillers est sombre, carrément noir, pas une once d’espoir, il me couperait même mes envies de visiter Prague, moi qui en parlais encore récemment avant d’avoir lu ce roman. Maintenant, je me questionne, la place Venceslas est pleine de drogués et de dealers, le pont Charles n’est pas mieux… C’est le point noir de ce bouquin, je le trouve vraiment démoralisant, mais je dois dire que je ne connais pas la ville et que T. Demeillers, lui, la connaît, et que je suis sans doute très naïf !
    Par contre, il y a en son sein de très bons points, le fait que pour chaque narrateur, l’auteur prenne un ton et un style particuliers qui font que si l’on pose le livre et qu’on le reprend en ayant oublié avec lequel on était, on le sait dès les premières lignes. Une belle maîtrise de la langue et du déroulement narratif qui laisse si ce n’est du suspense un intérêt jusqu’à la toute fin.

    Asphalte publie là son premier roman français, et coup double, Timothée Demeillers signe là son premier roman, pour lequel j’émets quelques réserves quant à la noirceur mais qui fait preuve de promesse plus qu’engageantes. Assurément, Asphalte doit garder cet auteur que je suivrai avec plaisir et curiosité.