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Conseillé par Jean T.27 septembre 2024
C'est en 2019 lors d'un voyage en Nouvelle-Calédonie qu'Alice Zeniter à l'idée d'un roman. En 2022, elle retourne pour l'écrire sur cette île lointaine, à 18 000 kilomètres de la France, à plus d'une journée de voyage en avion.
À cause de cet éloignement et comme de nombreux métropolitains, Alice Zeniter ne connaissait pas la Nouvelle-Calédonie, elle s'est documentée, ce qui lui permet de pouvoir décrire toute la complexité de cette île et de ses habitants, l'impact de la colonisation..
Après des années d'absence et une rupture amoureuse avec un métropolitain, Tass revient sur le Caillou pour enseigner le français. Elle revient sur son île, là où sont ses racines. Mais elle a quelques difficultés à trouver sa place.
Elle dont la mère est métropolitaine, est-elle blanche ou métis ? Car on peut être "Blanc-blanc, pour distinguer les Blancs-uns des Blanc-autres, des Blancs pas blancs" ou "pur métis". Quelle est son identité ?
L'enseignante se prend d'intérêt pour deux lycéens, Pénélope et Célestin. Elle trouve celui-ci très beau, jusqu'à ce qu'elle se rende compte qu'ils ont le même visage puisqu'ils sont jumeaux. Elle réalise que le regard que l'on porte sur les gens, sur les choses est un regard construit qui n'est pas toujours exact. Tass a choisi d'étudier L'île des esclaves de Marivaux, puisqu'il n'y a pas d'écrivain kanak. Les deux jeunes reprochent à Marivaux d'avoir "un rêve si petit, alors qu’il aurait pu créer n’importe quoi sur cette île imaginaire".
Les deux jumeaux s'absentent du lycée. Ils rejoignent un trio de jeunes kanaks indépendantistes. Enfants des villes, pourront-ils vivre "en brousse" comme des kanaks ? S'ils gagnent l'indépendance, puisqu'ils ne parlent pas la langue, qu'ils ne connaissent pas la coutume, ils ne sauront plus habiter sur leur terre et vivront comme des Blancs. Ce qui jette un doute sur la possibilité d'une indépendance gagnée par les kanaks. Inquiète, Tass part à leur recherche.
Le trio pratique "l'empathie violente". Il s'agit de déranger des objets dans les maisons, ou de dépenser des sommes dérisoires avec la carte bancaire dérobée, pour troubler les volés, pour leur faire ressentir que la dépossession est absurde, "Car les Blancs ne nous ont pas pris nos terres parce qu’ils en avaient besoin : ils les ont prises pour en faire un bagne ! Ils sont arrivés ici et ils ont dit : c’est un paradis, nous en ferons une colonie pénitentiaire".
À la recherche des jumeaux, Tass vivra une expérience curieuse, parfaitement irrationnelle, qui lui fera prendre conscience de ses origines. Dans son œuvre, c'est la première fois qu'Alice Zeniter recourt au merveilleux.
Lors de son premier voyage dans l'île, l'autrice a appris que des Arabes, surtout des Algériens, dont des Kabyles originaires de villages proches de celui de ses arrières grands-parents, ont été envoyés au bagne. Elle a retrouvé la liste de ces 2106 bagnards. "Peut-être sommes-nous cousins" lui ont dit des descendants. Cette proximité inattendue colore le personnage de Tass.
Alice Zeniter réussit l'exploit de faire comprendre la complexité de la Nouvelle-Calédonie dans un texte documenté sans jamais quitter le genre romanesque. Elle le fait sans négliger les parti-pris politiques, le positionnement de la France, sans négliger le côté douloureux de cette histoire. Son écriture est tour à tour sérieuse, précise, questionnante, légère, avec des pointes d'humour. La lecture est agréable, c'est presque un page-turner !
Admirable. -
Conseillé par Matatoune V.19 août 2024
Quel titre, Frapper l’épopée, le nouveau roman de Zeniter Alice ! Toujours la même langue, généreuse, exigeante et même « chatoyante », tant elle envoûte, mais aussi voix dérangeante, empreinte de révolte, souvent à peine estompée, pour découvrir ce territoire français du bout du monde et son histoire, La Nouvelle Calédonie.
Ce roman est exigeant et engagé qui ne cède ni à une écriture facile ni à un sujet consensuel. Même si Alice Zeniter change de continent, elle interroge la colonisation et ses conséquences dans un pays aux multiples influences culturelles, entre Asie et Australie, avec son ancien centre pénitentiaire aux ramifications jusque dans l’histoire actuelle. Un roman encore très réussi !
Chronique illustrée ici
https://vagabondageautourdesoi.com/2024/08/17/alice-zeniter-frapper-lepopee/