Bel abîme

Yamen Manai

Elyzad

  • Conseillé par (Libraire)
    1 octobre 2021

    Du grand art !

    "Bel abîme" est un texte très court, 100 pages à peine, d'une densité digne des meilleurs expressos. La parole est donnée à un jeune ado en manque d'affection, souffre-douleur de tous ceux qui croisent sa route. Tous, sauf Bella, qui a su lui prodiguer tout l'amour du monde – jusqu'au jour du drame. On écoute ce narrateur désespéré s'adresser tour à tour, avec une rage sans retenue, aux policiers, juges et psychiatres qui l'interrogent sur les actes violents dont il a été l'auteur. Impossible d'en dire plus, tant le récit resserré et mené tambour battant ne permet aucun divulgâchage.
    🐶 Ajoutons tout de même qu'encore une fois, Yamen Manai excelle à l'art du récit à double fond : le lecteur peut gober ce "Bel abîme" d'une bouchée, porté par l'impatience de découvrir ce qui s'est réellement passé. Mais il peut également le relire plus posément, pour y dénicher les réflexions et critiques à peine dissimulées sur le pouvoir et la religion. Du grand art !


  • Conseillé par
    21 octobre 2022

    Tunisie

    Un jeune tunisien se trouve dans les locaux de la police après avoir tiré sur son père.

    Petit à petit, nous découvrons ce qui l’a amené à perpétrer ce geste, tout en découvrant la société tunisienne de l’intérieur.

    Une société rongée par la violence, où les plus faibles se vengent sur les insectes.

    J’ai aimé l’humour qui se dégage parfois de ces pages, mais aussi le regard sans concession du narrateur sur son pays.

    J’ai aimé le leitmotiv de la main : un homme de main, lever la main sur son enfant.

    J’ai découvert des habitants Errahma-lé : sans pitié, alors que le Prophète est lui miséricordieux.

    J’ai aimé l’amour inconditionnel qu’il porte à Bella, celui qui lui a manqué à son frère et lui, son frère se réfugiant dans la nourriture.

    J’ai eu de la peine pour ce jeune homme bien trop lucide.

    Quelques citations :

    "A la vitesse à laquelle on y va (dans le mur), je ne crains pas pour le pays, je crains pour le mur". (p.19)

    "Je n’ai jamais reproché à mon père d’être un pauvre fils de pauvre, mais je lui en veux d’être un pauvre de coeur, de ne pas avoir compris où était la vraie richesse. Etre bon pour sa famille est plus important que la façade que l’on construit pour les autres et pour laquelle son propre sang subit la négligence, le désamour et la rancune". (p.80)

    L’image que je retiendrai :

    celle du jeune homme courant tous les matins avec son chien sur des kilomètres.

    https://alexmotamots.fr/bel-abime-yamen-manai/


  • Conseillé par
    14 juin 2022

    Ne lisez point trop autour de ce livre remarquable, courez l'acheter ou si vous l'avez déjà, ne traînez pas, lisez-le. 110 pages, ça va vite et c'est un long monologue du jeune homme qui attend un procès. Il parle à son avocat commis d'office et au psychiatre détaché par le tribunal. On ne sait pas trop au début les raisons de son enfermement, il les explique à ses deux visiteurs.

    Jeune homme en Tunisie post-révolution, il vit avec un père universitaire, fainéant, qui ne s'intéresse qu'à sa voiture et frappe sa femme et ses enfants. L'archétype de l'homme autoritaire tel que la société tunisienne en produit, qui doit se faire servir et respecter dans sa maison. Il livre ses réflexions, son amour de la lecture qui l'a sauvé, lui permet de vivre malgré la violence : "Des gens qui savent lire au pays, il y en a à la pelle, mais que lisent-ils, dites-moi ? Que dalle, pour l'écrasante majorité. Elle est fâchée avec les livres, il faut se l'avouer. Vous connaissez ce proverbe ? La parole de nos ancêtres ? Elli kraw métou : ceux qui ont lu sont morts eux-aussi. Oh, mes aïeux ! Lire ne donne pas de pouvoir, lire ne sauve pas ? Cela ne fait aucune différence, on finit toujours les deux pieds devant ? Ok, lire ne rend pas immortel, je vous l'accorde, mais ça rend moins con, et ça, c'est déjà beaucoup." (p.20)

    Puis sa réflexion s'étend à la société tunisienne, qui, malgré la révolution, ne satisfait ni ne permet aux Tunisiens de s'épanouir : "On a quand même gagné la démocratie ? La belle affaire ! Avant, on avait la peste, maintenant, on a le choix entre la peste et le choléra. Avant, on avait les quarante voleurs, maintenant on en a quarante mille." (p.69). Lucide et amer, il sait qu'il n'a rien à espérer de son pays ni des autres, sauf de Bella qui le tient debout.

    C'est un court roman, fort, direct, comme si nous étions avec le jeune détenu et qu'il nous exposait ses pensées et son histoire. Très bien écrit, il se lit assez vite, même s'il vaut mieux prendre son temps, pour rester dans l'ambiance et avec le narrateur que l'aon aimerait avoir rencontré dans d'autres circonstances.