Les fleurs de cimetière

Edmond Baudoin

L'Association

  • Conseillé par (Libraire)
    5 avril 2022

    GENIAL TOUT SIMPLEMENT

    Il est des moments dans la vie où l’on passe à côté d’une personne qui pourrait vous accompagner quelques années. Devenir votre ami. Heureusement, il existe des séances de rattrapage qui ne remplacent pas le temps passé mais permettent quand même de faire quelques pas ensemble.

    L’ami raté est un dessinateur de 80 ans: il s’appelle Edmond Baudoin, il fait partie des plus grands auteurs de Bd actuels et pourtant, nous sommes quelques uns à être passés à côté de son oeuvre. Le rattrapage c’est le festival d’Angoulême avec une formidable exposition et son indispensable catalogue « Dessiner la vie »..
    Et on se questionne: comment être passé à côté d’albums d’une telle importance? Cela fait pourtant presque un demi siècle que « Momon » a quitté, à l’âge de trente trois ans, le métier de comptable pour dessiner, dessiner, dessiner encore et toujours. Cette passion dévorante, il la raconte dans ce qui peut être une introduction parfaite: « Piero » ce livre magnifique qui annonce tout: la tendresse, le rôle des rêves, l’amour des filles et surtout l’obsession partagée avec son frère du dessin. Cette passion a été exacerbée par la maladie de Piero, qui rassemble et réunit les deux frères plus que la normale. « Cette maladie ce fut une chance » déclare t’il. « C’est elle qui a fait ce que nous sommes, mon frère et moi. Nous avons longtemps dormi dans le même lit. Je le caressais quand il toussait. Et lorsque les autres enfants allaient jouer au football, nous restions à la maison ensemble. Nous dessinions! ».

    Il dit aussi dans Piero, l’essentiel de son oeuvre à venir et de sa quête artistique: « A quel moment des traits, des taches, des hachures, ne sont plus de l’herbe, des pierres, un arbre des branches … Et pourquoi trop s’appliquer c’est tuer la vie? ». Le dessin de Baudoin sera ainsi à travers plus de 70 albums la quête permanente de cet équilibre entre réalisme, on doit comprendre ce que l’on voit, et liberté et imaginaire, on doit rêver de ce que l’on voit. « Quand on dessine on ne pense pas. On met le pinceau sur la papier et c’est la main, le bras qui font le travail. Il faut laisser faire. Après on peut réfléchir ».

    Le noir et blanc pour dire la vie, sa vie car il est, « sans le savoir » un des premiers si ce n’est le premier à raconter son existence en dessins. L’auto fiction, à la manière des textes de Lionel Duroy, nous invite ainsi à le suivre, à partager tout au long de ses livres, son quotidien (Couma acò, Piero,) ses amours (Le Portrait), ses souffrances, ses combats ou encore ses voyages (Araucaria, Terrains vagues, Amatlan, Viva la vida). Son rapport à la nature est essentiel, lui grand marcheur de l’arrière pays niçois où il a toujours vécu et du monde entier. « A cinq ans vous savez que les montagnes sont des vagues comme la mer. Vous savez que les arbres ne bougent pas à la même vitesse que vous mais ils dansent à la même vitesse que vous ». Il aura fallu que son frère, le seul à aller aux Beaux Arts à Paris décide de tout abandonner pour que quelques années plus tard, Baudoin décide de quitter son métier de comptable. « L’idée de mourir sans avoir dessiné m’était insupportable. J’ai commencé par illustrer des poèmes de Neruda et Rimbaud. J’ai débuté tout petitement ».

    En 2021 il conclue provisoirement son oeuvre avec un ouvrage testament aux multiples facettes, foisonnant, "Les fleurs de cimetière » qui veut dessiner sa vie mais plus surement la vie. « J'ai des petites tâches brunes sur le dessus de la main. J'en ai aussi sur la queue. La peau qui vieillit. Jeanne appelait ça les fleurs de cimetière » écrit il dans cet ouvrage inclassable. Il est aisé alors de parler de récit testamentaire, « je n’ai pas peur de la mort » dit il avec son accent prononcé et son large sourire bienveillant et sincère, « elle fait partie de la vie » mais ce serait trop limitatif tant cet ouvrage évoque surtout une existence vouée au dessin. Il n’hésite pas, à travers les méandres de son existence à relier des épisodes composites, « il fallait que ces pages se suivent, se relient, constituent un récit cohérent », lui qui dans une confession émouvante écrit dès les premières lignes, « J’écris sur quelqu’un qui va mourir, inabouti ».

    Piero, Les Fleurs de cimetière, deux ouvrages essentiels, le début, une presque fin, et entre deux des dizaines d’albums à lire en urgence car ils nous racontent, vous racontent. Et peuvent vous faire rencontrer un ami. Un véritable ami.