La compagnie des Tripolitaines

Kamal BEN HAMEDA

Elyzad

  • Conseillé par
    5 janvier 2012

    Une petite merveille!

    La compagnie des tripolitaines est un roman court mais percutant!

    Hadachinou est un petit garçon, à l'aube de la puberté, dans le Tripoli des années 60. N'étant pas encore considéré comme un "homme" il a l'avantage de pouvoir encore passer ses journées aux côtés des femmes de son entourage.

    Il assiste à leur réunion quotidienne autour d'un thé, chacune racontant ses secrets ou ses anecdotes de femme mariée. Il y a sa mère, sa tante, Hiba qui est battue par son mari, Fella à qui il se confie et qui lui offre des bonbons qu'elle confectionne elle-même, Zaïneb, la belle jeune femme que l'on veut marier de force, Khadija... Toutes les femmes ont leur place dans ce petit monde à part: musulmanes, catholiques, juives, femmes mariées, femmes libres...

    Ce monde féminin le fascine, car ces femmes, mariées pour la plupart et privées de liberté à l'extérieur de chez elles, gèrent leur foyer de main de maître tout en se recréant un monde à elles, rempli de secrets et de mystères.

    Elles se confient et parlent beaucoup des hommes et de leur violence, de la main mise italienne dans les années 50, de la guerre, mais surtout des hommes et de leur comportement...

    J'ai beaucoup aimé ce petit roman, très poétique, émouvant et qui se trouve être au final un bel hommage aux femmes.


  • Conseillé par
    18 juin 2011

    Donc dans les années 60, le jeune narrateur découvre la vie avec les femmes. Assez discret pour être accepté dans leur entourage lorsqu'elles parlent entre elles, il assiste à des discussions vives, des témoignages terribles de femmes qui n'ont pas choisi leurs maris et qui se font frapper ou véritablement violer par eux. Leurs propos sont parfois assez crus, violents :

    "Je fais comme beaucoup d'entre nous, poursuivait la femme, j'ouvre mes jambes et je le laisse me niquer ; de toute façon ça ne dure pas très longtemps... trente secondes, une minute et voilà ! J'en suis quitte... Quelle plaie !... Vous vous rappelez celle qui a coupé le zob de son mari ? Eh bien, son mari la battait tellement, à lui faire voir les étoiles à midi ! Nous le savions, toutes, mais que pouvions-nous faire ? Dehors c'était un homme pieux et respecté, il allait à la mosquée tous les jours, mais comme tous les autres, les femmes, il les haïssait !" (p.79)

    Visitant l'une et l'autre, le jeune garçon recueille les souvenirs, les récits de vie de ces femmes. Elles vivent toutes solidaires et ensemble, les Arabes, les juives, les musulmanes même les Italiennes catholiques et parfois même les femmes noires pourtant considérées comme des esclaves ! Ce qui les lie est plus fort que la religion ou l'origine. Elles parlent de leurs misères, les plus vieilles de la guerre et de ce qu'elles ont subi sous Mussolini, de la libération de Tripoli. Elles disent aussi l'absence des hommes de leur maison qui pourtant les briment. Le jeune garçon dit aussi la non-présence de ce père :

    "Mon père, homme de solitude et de prière, se cloîtrait dans la petite chambre du fond de la maison lorsqu'il rentrait de sa boutique ou de la mosquée ; indifférent aux être qui l'entouraient, enfermé dans son monde en compagnie d'Allah." (p.64)

    Mais les Tripolitaines rient aussi : elles rigolent des hommes qu'elles bernent sans qu'ils ne s'en aperçoivent. Se moquent d'eux et de leurs travers, l'alcool, la religion, leur haine (et/ou leur peur) des femmes... Elles passent de très longs moments entre elles à parler, jaser, "refaire le monde" dirait-on maintenant. Et le narrateur en profite : il se fait câliner, écoute les histoires. Il découvre aussi les corps féminins avec parfois beaucoup d'émotion : "Je ne sais pas comment Tibra la Berbère faisait, mais chaque fois qu'elle était là sur le tapis, pleine d'entrain, elle éveillait dans le bas de mon ventre une chaleur agréable." (p.87)

    Très jolie chronique, très bien écrite dans une belle langue, parfois assez crue directe et franche et parfois plus enjolivée, plus ronde et plus poétique. Un petit roman (à peine 110 pages) qui a en outre la qualité de nous décrire la vie à Tripoli. On parle beaucoup de la Lybie depuis quelques temps, mais j'avoue que je ne connaissais pas grand chose sur ce pays, ni sur son histoire et encore moins sur sa littérature. Grâce à ce roman, j'ai recherché des informations sur l'histoire de ce pays dans lequel Kamal Ben Hameda est né dans les années 50 (il vit désormais aux Pays-Bas). Lecture bénéfique pour moi qui me donne l'occasion de rencontrer d'autres gens, de connaître d'autres us et qui me donne l'envie d'en connaître encore plus.